Courrier à Monsieur le Président du CSA

par Anne MURRIS

Le devoir d’information n’a de sens que lorsqu’il sert l’intérêt général. Une obligation de réserve peut s’exercer dans la responsabilité journalistique.
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Monsieur le Président du CSA,

Le 09 janvier 2017, L’UNESCO a accueilli à Paris la première conférence internationale pour l’aide aux victimes.
Cette conférence a réuni des experts étrangers et français pour un partage d’expériences et de bonnes pratiques réalisées à l’échelon national et à travers le monde.
L’un des thèmes abordés, à l’occasion de ce colloque, a été «l’accès à l’information et la protection de la vie privée des victimes : l’autorégulation des médias dans un monde globalisé».

Mme Memona HINTERMANN-AFFEJEE, conseillère au Conseil supérieur de l’audiovisuel, intervenante autour de ce thème, a brillé par l’omission, dans son intervention, du traitement médiatique scandaleux de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice.

Des images choquantes, impudiques et des informations non ou peu sourcées diffusées en boucle par les chaînes de télévision, le soir de cette abomination, ont scandalisé des milliers de personnes.
Au lendemain de l’attentat, le CSA affirmait au journal les «Echos» : «c’est la première fois que nous sommes interpellés de la sorte par les internautes».
France 2 a présenté dès le 15 juillet 2016 ses excuses et reconnu son erreur : «Ces images brutales, qui n’ont pas été vérifiées selon les usages, ont suscité de vives réactions. Une erreur de jugement a été commise en raison de ces circonstances particulières (…) France Télévisions tient à présenter ses excuses».
Dans les jours qui ont suivi ce carnage, le CSA a été saisi par des téléspectateurs et des journalistes indépendants. Plusieurs pétitions ont d’ailleurs circulé, dont une émanant de parlementaires de la droite et du centre, pour des images jugées scandaleuses, violentes, indignes.
Après examen de ces documents, le CSA a reproché à France 2 les interviews de personnes en état de choc qui pourraient relever d’une «atteinte à la dignité de la personne humaine». Même, si sur les autres chaînes «aucun manquement caractérisé» n’a été relevé, le CSA s’est dit toutefois préoccupé par «la diffusion contestable de certains témoignages» et «sensible aux réactions suscitées». Il a d’ailleurs appelé «les télévisions et les radios à la prudence et à la retenue». Un rapporteur indépendant a été saisi.

Le respect des victimes passe par la protection de la diffusion de leurs images et, la non diffusion de reportages choquants dans les médias. La violence des images diffusées ce soir-là, surtout pour les personnes ayant perdu un proche est inqualifiable.
Si le droit à l’information est essentiel en démocratie, il ne peut ignorer la douleur, et la dignité des personnes touchées.
La pudeur est primordiale dans ces circonstances.
Ne pas travestir la réalité est essentielle.
Ne pas porter atteinte à la mémoire des victimes est un devoir qui devrait être perçu comme une obligation par des professionnels de l’information digne de ce nom.
La volonté de diffuser une information de qualité et utile à la société devrait être le fondement de l’éthique journalistique. La notion d’urgence dans la diffusion d’une information, fut-elle exclusive, ne doit pas l’emporter sur la vérification des sources et le sérieux de l’enquête.
Les circonstances particulières ne peuvent pas justifier une erreur de jugement aussi grave. On ne fait pas du « buzz » sur les cadavres de nos compatriotes lorsqu’on se prétend journalistes du service public.
Ce 14 juillet 2016, la course au sensationnel a marché sur toutes les limites éthiques dont les médias sont pourtant dotés.
Le CSA doit renforcer les différents codes déontologiques dont il est le garant, quitte à d’avantage sanctionner les structures responsables de la diffusion des «informations»..
Le voyeurisme mène à la banalisation de l’horreur. Que reste-t-il de l’humanisme dont se targue la République lorsqu’on accepte que les caméras du service public soit plus sensible au goût du sang qu’à celui de la vérité? Pas grand chose. Les terroristes sont une nouvelle fois les seuls gagnants.

La diffusion en continue de ce massacre leur a offert un espace médiatique international, une publicité gratuite et incroyablement efficace sur le plan comptable du public touché.
Basculer dans la pure émotion a pu faire le jeu de ces criminels et, donner de l’ampleur à leurs actes, ou tout simplement déclencher des évènements de même nature. La diffusion d’images macabres qui sont jubilatoires dans ces mouvements nous transforme en relai involontaire de leur propagande.

En notre qualité de victime de l’attentat du 14 juillet 2016, présente le 09 janvier 2017 à ce colloque, nous déplorons que le traitement de cette barbarie, par les chaînes télévisées ait été éludé par une conseillère au Conseil supérieur de l’audiovisuel.
Est-on dans l’aveuglement ou la complaisance en refusant de condamner les images et les reportages diffusés ce soir là ?
Le devoir d’information n’a de sens que lorsqu’il sert l’intérêt général. Un attentat de cette envergure n’est pas un spectacle à exhiber mais une atteinte à la Nation qui doit être relayée. Une obligation de réserve peut s’exercer dans la responsabilité journalistique. Seul le travail mal préparé et mal vérifié en sera victime.

Suite à son intervention, nous avons interpelé Madame HINTERMANN-AFFEJEE pour cette «omission».
Nous arguer le manque de temps pour ne pas aborder le traitement médiatique du 14 juillet à Nice, ne revient-il pas à dédouaner les chaînes de télévision de cette «faute professionnelle» ?
Ne pas condamner cette dérive médiatique ne revient-elle pas à la cautionner ?
Ignorer le traitement de ce drame rend-il utile le partage des expériences, un des objectifs de ce colloque?…

Le manque de discernement, de lucidité, d’intérêt d’un membre de votre Conseil chargé de contrôler ces dérapages, qui plus est lors d’un colloque international pour l’aide aux victimes, nous blesse, ajoute des souffrances à nos souffrances et de la stupeur à notre incompréhension.
Ce silence est une ignominie.
A notre sens, ne pas aborder le traitement médiatique des attentats du 14 juillet 2016 à Nice, constitue une faute déontologique commise par Madame HINTERMANN-AFFEJEE.

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