Chaque année à Nice, l’été métamorphose la ville. Quand la chaleur clôt les persiennes et que l’on cherche l’air jusqu’au creux des fontaines, débute quelque chose de nouveau. Une partie du paysage se fige de manière à ne plus être qu’un prolongement des rayons du soleil. Derrière le chant des cigales de l’arrière pays, un morceau de Nice s’endort allongé dans un bain de lumière. Fait de murs blancs, de bois sec et d’âmes épuisées, une immobilisation partielle se génère progressivement pour laisser entièrement place pendant quelques mois à une autre vie. C’est de celle-ci dont nous souhaitons parler.
À l’inverse de la première, elle s’anime davantage dès que les températures grimpent véritablement. Dans ce décor devenu brûlant, elle se dresse et s’agite peu à peu au-dessus du reste. Cette face de Nice, c’est celle de la fête comme on la fait nulle part ailleurs, celle des bars et des restaurants bondés, celle de la nuit qui ne craint pas l’aube. En temps normal, ce versant de Nice célèbre chaque année ses propres retrouvailles et profite intensément de sa renaissance. C’est la vitalité qui s’exprime dans ce qu’elle a de plus pur et de plus sincère. Elle forme un balais de fraîcheur qui irrigue ceux que la chaleur accable. C’est à ce visage de Nice auquel nous souhaitons rendre hommage, car il fut durement touché il y a 5 ans et qu’il continue de l’être aujourd’hui par d’autres biais.
Le 14 juillet 2016 commençait pourtant comme une nouvelle journée d’enthousiasme pour ces hommes et femmes pleins de vie. Au petit matin, l’appel d’une baignade à la plage de la Réserve avait réveillé les plus hardis. Ils s’y rendirent pour y croiser autant de jeunes sportifs que de vieilles dames aux bonnets de bain d’une autre époque. Ils passèrent ensuite par le cours Saleya où le parfum du marché aux fleurs fit dire aux plus sensibles que les murs de la place en étaient comme imprégnés. Quelques beignets de légumes farcis accompagnés d’une immanquable part de socca donnèrent à la sobriété d’un déjeuner dans le vieux Nice un aspect quasi solennel. Après cela, un semblant de sieste auprès de l’être aimé transforma leur après-midi de tendresse en un accès immédiat à la simplicité du bonheur. Avant le soir, un moment moins solaire empreint d’une inconnue nostalgie a pu les effleurer. Crainte muette d’un temps qui passe, adieux inconscients à des moments précieux d’innocence, salut involontaire à la brièveté de la vie.
Puis ce fut le tour de la prom’, du feu d’artifice, du bouquet final. Toute la ville de Nice devenue verticale communiquant au ciel ses lumières dans des sifflements ininterrompus. Les parents qui souriaient, les enfants qui sautaient et les autres qui dansaient, tous rassemblés les yeux dans les étoiles de la promenade des Anglais, comme si tout pouvait continuer normalement, comme si cette soirée du sud allait comme d’ordinaire permettre des instants de lumière et de plaisirs partagés.
Les fracas que nous ne voulons plus décrire eurent pourtant lieu juste après. L’horreur a roulé sur la vie, sur ces vies si candides, si fraîches, si réelles, si inachevées. Nice la festive, Nice la joviale, Nice la belle, la si belle, s’est ébranlée. La vitalité a rejoint le silence, l’énergie débordante, le repos précoce. Cette année-là, l’été s’est terminé un 14 juillet pour notre ville. Suivit un hiver bien long, suffisamment long pour veiller les morts et accompagner leur incompréhensible départ.
Comme toutes les saisons, comme tous les mouvements immuables de la terre, comme tout ce qui fait la vie, l’été finit par revenir. Pour beaucoup d’entre nous, il ne pourra plus être le même. Il semblera plus terne, moins bleu, sans réel éclat. Mais aujourd’hui, malgré la douleur, nous le distinguons néanmoins: l’été niçois est bien là.