Anne Murris a perdu sa fille Camille, le 14 juillet 2016 à Nice.Elle sera présente ce mardi aux Invalides, pour sa mémoire et celles de toutes les victimes du terrorisme
.Emilie, Ahmed, Sébastien, Juan, Camille… 239 personnes ont été tuées lors d’attaques terroristes perpétrées sur le sol français depuis 2015. Pour célébrer leur mémoire, ce mardi des associations organisent une journée nationale d’hommage aux victimes du terrorisme sur la place des Invalides, à Paris.
Un événement devenu annuel il y a 19 ans et plus que jamais d’actualité. La date n’est pas anodine: le 19 septembre 1989, l’avion français DC10 de la compagnie UTA, explosait en plein vol au-dessus du Niger, cible d’un attentat.
Anne Murris, la maman de Camille, fauchée à 27 ans le 14 juillet 2016, lors de la course mortifère du terroriste de Nice, assiste pour la première fois à cet hommage. L’année dernière, elle n’en a tout simplement pas eu la force. Cette journée est désormais devenue primordiale pour cette Niçoise, qui y voit un devoir « de mémoire et d’hommage ». « Cette journée doit être un hymne à la vie en l’honneur de nos morts, de nos disparus, de nos blessés et de nos vivants. Il faut être dans l’espoir », explique-t-elle de sa voix douce, qui se casse parfois.
Si Emmanuel Macron a été excusé, le Premier Edouard Philippe, ainsi que le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb seront présents à cet hommage, aux côtés des centaines de proches et victimes du terrorisme.
Depuis ce jour où Camille a été percutée sur la promenade des Anglais par le camion d’un djihadiste se revendiquant de Daech, sa mère veut mettre du sens derrière les hommages et célébrations liés au terrorisme. Le devoir de mémoire est un terme cher à Anne Murris, qui veut lui conférer un « rôle pédagogique ».
C’est elle qui, avec une autre proche de victimes Cindy Pellegrini, a organisé la journée anniversaire de l’attentat, à Nice. Elle veut aussi faire de ce mardi un jour clé. « Ce 19 septembre doit être un moment où on se pose des questions au niveau collectif: à quoi veut-on que ressemble notre monde? Il faut prendre conscience de l’importance des valeurs de respect et de liberté. Elles nous étaient acquises et ont été fragilisées par le terrorisme », constate-t-elle avec conviction.
La quinquagénaire, a également créé un livre interactif d’hommages, qui recense des textes écrits depuis le monde entier.
Ce combat pour la mémoire des victimes, Anne Murris dit le mener pour sa fille, avec qui elle entretenait un lien fusionnel. « Je refuse que Camille soit morte pour rien et puis, pleurer sur mon sort ne fera pas avancer le monde. Ma fille avait 27 ans, elle avait de la culture, des connaissances et surtout des valeurs de tolérance. Je veux les respecter », clame la Niçoise.
Sa fille, diplômée d’une école de commerce, avait tout plaqué pour faire de l’humanitaire en Amérique du Sud, avant de rentrer à Paris, quelque temps avant l’attentat de Nice. « Camille n’aurait pas admis qu’on puisse avoir un discours de haine ou être excluant envers une communauté, poursuit sa mère. Je mène ce combat, pour éviter que d’autres personnes se trouvent en souffrance. » Le jour de l’hommage aux victimes de Nice, en octobre, la première plaque a été déposée par une fille de victime, de confession musulmane. « Je trouve cela très symbolique. Cela avait beaucoup de sens », salue la mère de Camille.
Aujourd’hui, Anne Murris, orthophoniste en libéral, avance, panse ses plaies petit à petit, même si elle dit souvent percevoir la vie « en monochrome » et ne pas toujours avoir la force de travailler. Elle a trouvé son remède: « Ce qui me manque au quotidien, c’est la présence de ma fille, alors pour me reconstruire, je suis obligée de construire. »
Un peu plus d’un an après l’attentat, Anne Murris ressent toujours le besoin « de comprendre, d’intellectualiser la douleur ». « Je n’ai jamais eu de colère, cela ne m’aurait apporté que du mal », observe la quinquagénaire, traversée par de nombreux sentiments à la mort de sa fille. « De la tristesse, de la peine, de la souffrance. » Mais surtout de l’incompréhension.
Alors le premier geste qu’elle a eu, quelques jours après la mort de Camille, a été d’aller avec son conjoint rencontrer Dalil Boubakeur, le recteur de la Grande mosquée de Paris. « Nous l’avons fait dans une démarche de compréhension de la radicalisation. Et nous avons bien vu que la mouvance radicale n’avait rien à voir avec l’islam modéré. Que l‘homme qui a tué ma fille n’était que la victime d’une idéologie et d’un embrigadement », raconte-t-elle, la voix soudainement troublée.
Avec Cindy Pellegrini, qui a perdu six de ses proches à Nice, Anne Murris a lancé un projet de mémorial. Il s’agirait selon elle d’un « lieu de mémoire pour les personnes disparues et les survivants ». « Cet endroit devrait permettre aux gens de prendre conscience de la nécessité de vivre avec de l’espérance, d’avoir une réflexion sur le rôle des citoyens. »
L’un des objets du centre serait la lutte contre le terrorisme et la radicalisation avec des ateliers, des conférences… « On manque de pédagogie, de sensibilisation dans les outils actuels », déplore la Niçoise. Elle veut surtout mettre des mots sur la situation actuelle, en profitant de sa légitimité de victime. « Il faut parler du terrorisme, en employer le mot. A force de trop édulcorer, de trop vouloir protéger, il se crée une forme d’inconscience. On s’est sentis à l’abri, alors qu’aujourd’hui, on est tous des cibles potentielles. »
Après la première pierre de ce mémorial posée, Anne Murris se voit bien continuer à travailler sur le devoir de mémoire en menant des actions de sensibilisation contre l’embrigadement et le terrorisme. « Je voudrais poursuivre oeuvrer pour porter des valeurs de la citoyenneté à travers de jeunes populations. Ça avait du sens pour Camille, ça en a donc pour moi ».