Les hommes ne traversent pas le temps, c’est le temps qui les traverse.
Bercés par les sirènes modernes où tout peut se saisir, nous croyons marcher par-dessus les instants, ramassant au passage quelques morceaux choisis, pour plus tard se délester des souvenirs trop lourds.
Comme si la vie, générosité d’un présent élastique, nous devait encore plus. Comme si l’entièreté des dimensions tombait sous notre joug pour d’inexplicables raisons. Comme si finalement, nous n’étions plus des hommes et que le temps nous revenait.
Pourtant, rien de cela ne nous est dû.
Le temps nous impose son rythme et nous courons derrière, la langue sèche et pour toujours soumis à notre condition. Corps agité par nos manies et nos sentiments, nous récoltons ses fruits accordés par l’histoire et nous buvons son jus, autant qu’il nous en reste. Nous ne buvons que cela et quand nous l’avons bu, il est déjà trop tard. Le temps est intraitable, ne connaît pas de pause. Sans aucun état d’âme, sans égard pour les faibles, sans leçon pour les forts, sans réelle promesse, sans rien d’autre que sa force qui transperce nos vies.
Le temps, c’est notre plaie éternelle.
C’était il y a trois ans. Tahar, son père, était ailleurs à cet instant. L’espace l’avait tenu éloigné du drame. Mais depuis, le temps l’en a rapproché. Son 14 juillet 2016, il l’a vécu pendant presque 3 ans avant de s’éteindre lui-même. Ces mots que nous prononçons sont dédiés à sa mémoire, celle d’un père aimant, resté digne jusqu’au bout de sa vie pourtant amputée de sa raison d’être.
En-dessous du ciel de nos 86 anges, nous nous débattrons maintenant sans lui parmi les ravages du temps.
Nous trouverons parfois les forces pour panser nos plaies invisibles, mais le temps s’acharnera aussi contre nous, nous en sommes conscients. Impossible d’éviter son pendule devenu la cadence incertaine de nos vies. Un jour nous voilà sauvés, un autre, nous revoilà perdus. Au lieu de nous libérer, il nous enchaîne alors à cette folie tombée sur nos proches lors d’un soir qui devait être une fête. Au lieu de nous laisser de l’air, il nous aspire dans ce bain de sang que rien ne justifiait et qui tâche encore la plus belle avenue de notre ville, la plus belle promenade du monde.
Au lieu de passer, le temps reste, s’acharne et lime nos blessures.
Les adhérents et sympathisants de Mémorial des Anges demandent un Mémorial Musée contre le terrorisme et la prévention de la radicalisation d’envergure nationale à Nice.
C’est ainsi que nous menons notre lutte contre l’oubli, que nous entretenons notre espoir et qu’à notre façon, nous reconstruisons notre ville meurtrie et notre pays endeuillé.
C’est notre cri de vie à nous, victimes du destin, écorchés d’une époque, mutilés du temps.”