Les forces du surlendemain, discours 14 juillet 2018

Lors de l’hommage aux victimes du 14 juillet, Anne Murris, mère de Camille, fauchée à l’âge de 27 ans sur la Promenade des Anglais, a lu un poème écrit par un ami de la famille, Marek. Le texte s’appelle « Les forces du surlendemain ». Anne Murris l’a introduit par ces mots: « Se rappeler d’hier n’a de sens que si l’on regarde vers demain ».
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Anne Murris l’a introduit par ces mots: « Se rappeler d’hier n’a de sens que si l’on regarde vers demain ».

« Les étoiles peuvent pâlir dans le cercle des choses,
Mais demeurent éternelles dans le royaume des âmes,
Où l’énergie du ciel défend les justes causes,
Et où seul l’amour peut être le sésame.
Pour la vie sur cette terre, tout est question d’espoir,
Nous vous donnons le nôtre à travers notre histoire.
C’est l’histoire d’une lutte née de ce traumatisme,
La suite d’un fléau qui fit germer des liens,
Quand la douleur engendre un universalisme,
Lorsqu’il reste des forces pour le surlendemain.

Nous avons dessiné derrière le ciel contus,
L’horizon désiré, unique consolation,
Pour nous, orphelins du destin, qui avons tant perdu,
La caresse du temps n’apportera pas l’onction.
Nous nous sommes retrouvés sur la baie dissolue,
Où les enfants riaient avant que n’apparut,
Une terreur enragée par un abîme sans fond,
Que nous appelons folie, qu’il disait religion,
Quel dieu cautionnerait une telle sauvagerie?
Quel astre solliciterait une telle barbarie?
Pas un seul ; nous en étions certains,
Le désir de vengeance serait d’emblée éteint.

Nous nous sommes enlacés sans même nous connaître,
Car nous ne trouvions plus nos frères et nos parents,
La mort avait fauché sans faire de sentiments,
L’essence de notre vie venait de disparaître,
Le tourment du matin était si déchirant,
Que nous ne savions plus si nous étions des êtres,
Ou bien des animaux, rongés par les tourments,
Cette solidarité, c’est notre humanité, qui la fit transparaître,
Voilà pourquoi nous nous sommes retrouvés;
Que nos « je » devinrent un « nous » pour se conjuguer.
Nous nous sommes rassemblés puisqu’il fallait combattre,
Cet ennemi amorphe qui refuse de débattre,
Qui pense s’exprimer en répandant le sang,
Son épée aiguisée est son seul argument,
La remettre au fourreau serait notre objectif,
Et à tous les niveaux, nous serions vigilants,
L’émotion transitoire se changerait en feu vif,
L’hommage, en somme, deviendrait permanent,
Nous nous exprimerions autant que nécessaire,
Nos paroles impliquées pourraient parfois déplaire,
Pour ramener la paix, là où s’érige la guerre,
Les termes calfeutrés ont un parfum amer.
Le dialogue est utile, lorsqu’il aide chacun,
À faire de son vécu un outil de partage,
Les vraies identités traverseront les âges,
Les dogmes coagulés se perdront en chemin.
Nous le disons haut et fort: agissons !
Que les non-dits nocifs croupissent aux égouts !
Que les rancunes cachées ne soient plus des tabous !
Que les bonnes volontés opèrent à l’unisson !

Nous, qui sommes-nous ? Des normaux parmi les normaux,
Frappés en plein coeur par une peine inhumaine,
Des gens dont la douleur, se cherche un juste écho,
Qui parviendrait à taire la folie de leur haine.
Avant que sonne l’heure, pour nous de disparaître,
Rejoindre nos absents dans leurs constellations,
Ils nous ont assigné une difficile mission,
Tenant en deux paroles: bâtir et puis transmettre.
Transmettre pour hier, qui mérite d’être clair,
Transmettre pour demain, pour qu’il soit plus serein,
Transmettre pour aujourd’hui qui vaut d’être assagi,
Bâtir une maison, qui servirait leur nom,
Bâtir une forteresse, îlot de la sagesse,
Bâtir un mémorial, gardien d’une morale.
Bâtir et puis transmettre, pour ceux qui sont partis,
Et qui nous ont inspiré ce message,
Lorsque nous l’entendons, ils sont un peu ici,
Car ils parcourent l’air qui soutient nos nuages. »

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